S.O.S. : Shinjinrui On Sumo (les jeunes et le sumo) par Chris Gould Dans
le premier volet d’une série de trois, Chris Gould étudie
pourquoi tant de jeunes Japonais détestent le sumo, et donne ses
suggestions pour que le sumo parvienne à trouver la solution au
problème.
Le 11 septembre 2003, mon regard sur le sumo s’est radicalement modifié. Dans une magnifique résidence de Saitama, je me suis assis pour suivre la retransmission en direct du sumo sur la NHK, en compagnie de la grand-mère octogénaire d’un étudiant en médecine de 23 ans du nom d’Atsushi (Aki). La grand-mère est plus proche du légume qu’autre chose. Littéralement courbée en deux après des années de travail éreintant dans les rizières, son existence misérable est sans nul doute rendue plus vivable grâce aux retransmissions de sumo. Mais de toutes les personnes que j’ai pu rencontrer lors de ce voyage au Japon, elle sera la seule à me tenir compagnie durant toute une quinzaine de sumo télévisé. L’enthousiasme qu’elle manifeste pour le « sport national » du Japon est malheureusement absent chez son petit-fils, qui n’achète un ticket pour le Kokugikan qu’après une lutte pied à pied durant toute une semaine. Quand nous pénétrons finalement dans le Kokugikan, Aki passe la majeure partie de l’après-midi à rire et à moquer sans remords mon amour pour le sumo. Il pense que s’il fallait encore des preuves de ce que le sumo est un « sport de vieux », on les trouverait bien facilement à la vision du public présent, dont la couleur de cheveux moyenne oscille entre le gris clair et le blanc. Moins d’un an après, Aki a encore plus de raison de penser qu’il dit vrai. Isegahama oyakata, un ancien ozeki très populaire, déclare à un quotidien japonais que le Nihon Sumo Kyokai (NSK) est inquiète à propos de la fréquentation et qu’il recherchent activement des solutions à cette préoccupation. Pour quiconque pénètre à ce moment dans un Kokugikan à moitié vide, la nouvelle est tout sauf une surprise. Cependant, c’est la toute première fois qu’un membre proéminent de la NSK s’exprime publiquement au sujet de la fréquentation des tournois, et c’est le signe d’une tempête qui s’annonce dans les milieux du sumo. De fait, le sumo s’est essentiellement tenu à l’écart des changements qui ont affecté le Japon en général. Les valeurs que le sumo véhicule – fukoku-kyohei (une société forte) et bushido (la voie du guerrier) – sont jugées par l’écrasante majorité des jeunes Japonais comme étant irrémédiablement en opposition avec l’actuelle société semi-occidentalisée qui les entoure. La plupart de ces jeunes ne trouvent pas plus de beauté dans des corps énormes qu’ils ne peuvent comprendre le fait d’éreinter son corps pour une récompense financière très modeste. Ils ne s’intéressent pas aux explications rigides de la religion shinto et à la retenue émotionnelle qu’un sumotori doit exercer dans la victoire comme dans la défaite (de fait, une jeune fille – serveuse au sushi-bar Harrod’s – m’a demandé si mon amour pour le sumo était une maladie mentale). Conséquence, tandis que les Aki de par ce monde s’envolent vers le K1, le base-ball, le football et les tarentos (les « stars de télé »), les cheveux teintés de couleurs criardes – jaune, rose, rouge, bleu – le sumo inquiète en ne se reposant que sur les grand-parents d’Aki, pour la plupart trop vieux pour assister aux combats et trop fragiles pour défendre sa cause. Pour que le sumo continue à prospérer, il doit trouver le moyen de développer un soutien significatif au sein de la jeunesse japonaise. Les jeunes Japonais, que l’on appelle shinjinrui ou « nouvelle race », semblent avoir trois griefs majeurs envers le sumo, soit : ce n’est pas spectaculaire à regarder ; que les sumotori ne sont pas enthousiasmants ; et que les structures du sport sont inutilement compliquées. Cet article analyse le postulat qui établit que le sumo n’est pas spectaculaire à regarder. Il cherche à voir si les shinjinrui pourraient trouver le sumo plus séduisant si les sumotori perdaient du poids, qu’ils modifiaient leurs styles de combat, passaient moins de temps à jeter du sel et démontraient leur supériorité face aux athlètes du K1. Un problème de poids ? Le Japon ayant bien souvent porté l’étendard du plus faible taux d’obésité au monde, les sumotori ont toujours détonné dans la foule ambiante. Dans la tradition, leur gabarit ne les a toujours pas empêchés d’assumer le rôle de sex-symbols – particulièrement lorsqu’ils pèsent moins de kilos. Toutefois, les shinjinrui du Japon ont grandi dans une société sous l’influence des canons de beauté occidentaux, et leur goût pour une taille fine à la manière de Rie Miyazawa les rendent plus défiants envers l’obésité que ne l’étaient leurs ancêtres. Pour reprendre les mots de Michiko, une jeune femme de Toyama : « Beaucoup de Japonais aiment les gens minces. C’est simplement pas en vogue d’être gros. La plupart des sumotori ne sont juste pas assez mignons ». Yuko, une administratrice de 26 ans, constate qu’il est plus difficile de respecter les sumotori parce qu’ils ont été dépouillés de la puissante symbolique qu’on leur associait autrefois. « Après la défaite de 1945, beaucoup de Japonais sont devenus pauvres et n’avaient pas de quoi se nourri suffisamment », dit-elle. « Ils souhaitaient que des hommes forts, physiquement et mentalement, puissent les protéger. Après soixante années de paix, toutefois, les jeunes Japonais ne voient plus les sumotori comme des ‘protecteurs’ de la nation et ont en général une mauvaise opinion des gros. Les jeunes sont obnubilés par leur poids et, à leurs yeux, les sumotori ne donnent pas l’image de la bonne santé ». Avant le nouveau millénaire, la conception de la « santé » selon la NSK était diamétralement opposée à celle des shinjinrui. L’axiome voulant qu’un jeune deshi réussisse immanquablement s’il gagnait en poids rapidement et tout au long de sa carrière fut suivi de manière quasi fanatique après l’ascension des trois géants hawaïens (Konishiki, Akebono et Musashimaru), dont le succès fut de façon discutable attribué à leur seul gabarit. Dans de vaines tentatives d’égaler la masse des Hawaïens, des sumotori novices faisaient des razzias dans les fast-foods pour compléter leur régime chanko à haute teneur calorique. En faisant cela, ils apparurent comme encore plus malsains aux yeux des shinjinrui. Toutefois, vers la fin des années 1990, les tournois de sumo se sont vus frappés par des séries de blessures causées par l’excès de poids et, pour y répondre, la NSK exigea que l’ensemble des sumotori voient leur indice de masse corporelle vérifié de façon régulière. Ce changement de politique a produit des résultats significatifs. Alors qu’en novembre 1990 les cinq rikishi les plus lourds avaient un poids moyen de 192 kilos, en mars 2006 cette moyenne est passée à 174 kilos. De même, le poids médian des dix premiers rikishi a chuté entre ces deux dates de 174 à 164 kilos. Le poids moyen des rikishi de makuuchi, toutefois, est resté stable à 150 kilos au cours des seize dernières années, et partant largement au-dessus du poids moyen des six sumotori considérés comme les « plus beaux » par les jeunes Japonais sondés : Chiyonofuji, Kyokudozan, Terao, Mainoumi et les frères Hanada. Le fait que cette moyenne de 150 kilos ne semble pas devoir baisser est cependant une bonne chose. Quiconque ayant côtoyé un sumotori de 165 kilos ne peut pas ne pas être impressionné par la force brute dégagée par ce physique hors-norme. Quiconque a entendu le son de deux rikishi s’entrechoquant n’oubliera jamais cette expérience. Pour reprendre les mots de Fumiko, 17 ans : « Si les sumo n’étaient que des poids-légers, les vieux ne le regarderaient plus. Le sumo ressemblerait trop aux autres sports, et perdrait beaucoup de ses traditions et de son identité ». Le poids est véritablement un facteur déterminant de l’originalité du sumo. Si l’on tirait un meilleur parti de cet attribut, il pourrait encore attirer les jeunes Japonais. Car les jeunes Japonais ne sont pas uniquement rebutés par les amas de chair pendante. Ils sont aussi rebutés par leur tendance à réduire à néant le combat vif et athlétique. Un style de combat repoussant ? Aussi incongru que la chose puisse paraître, les shinjinrui ont tendance à comparer les sumotori avec les agiles combattants de K1 et les footballeurs aux pieds d’or. Ils notent que les combattants de K1 paraissent plus solides que les sumotori, puisqu’il leur est permis d’employer les poings fermés. Ils notent qu’un coup de tête d’un combattant de K1 semble bien plus spectaculaire qu’un ketaguri (balayage intérieur) ou un sotogake (balayage extérieur) en sumo. Ils notent que les footballeurs évoluent bien plus rapidement et avec plus de souplesse que les sumotori. Et ils trouvent que les rencontres de K1 et les matchs de football durent bien plus longtemps qu’un combat de sumo, bien qu’ils n’aient pas besoin d’y ajouter d’ennuyeux rituels shinto auparavant. Kenji, un étudiant au gabarit de sumo, nous dit : « le sumo nous montre de la force, mais il n’est pas aussi vif et excitant que le K1 ». Keisuke, un autre étudiant, renchérit : « J’aime le football désormais. Il y a bien plus de mouvement que dans le sumo avec tous ces shiko ». Même les entraîneurs de sumo ont du mal à contredire cela. L’un d’entre eux m’a dit : « Le football est un jeu rapide. Le sumo est lent et demande plus de réflexion ». Mais les vertus de la « réflexion » sont difficiles à vendre à la génération de l’instantané des shinjinrui, auxquels la technologie satisfait les besoins avant même qu’ils ne les aient exprimés. Bien que le sumo puisse donner tout un ensemble de faits pour réfuter de telles professions de foi (mais pas avec des rediffusions de combats Onokuni-Konishiki), les jeunes Japonais pensent invariablement que les torikumi à base de Gros contre Gros sont lents et ennuyeux. Les jeunes pensent également que bien que les combats engageant les Petits contre les Petits fassent montre d’une plus grande rapidité et d’une agilité admirable, ils demeurent toujours moins séduisants que le K1. De fait, le sumo devrait se vendre aux jeunes shinjinrui en jouant sur leur amour des extrêmes. En général, les torikumi qui sont à l’évidence les plus passionnants sont ceux qui opposent le Gros contre le Petit (qui pourrait oublier le splendide uchigake de Mainoumi sur Akebono en novembre 1991, ou l’épatant shitatenage d’Asashoryu sur Musashimaru en mai 2001 ?). A chaque fois que le Gros rencontre le Petit, le tempo est rapide et le combat acharné. La télé et internet devraient rappeler sans relâche aux shinjinrui que même le K1 n’est pas assez fou pour forcer le Petit à affronter le Gros à égalité. Le sumo devrait profiter de la sympathie des shinjinrui envers les lutteurs les plus légers et les encourager à soutenir leurs challengers favoris. Cette stratégie revêt une importance d’autant plus capitale que les jeunes trouvent les techniques de K1 infiniment plus spectaculaires que les kimarite du sumo. « Les victoires en sumo sont moins impressionnantes », dit Fumiko, 17 ans, provoquant un hochement de tête approbateur de ses trois amis. Bien plus encore, certains shinjinrui trouvent les coutumes du sumo tellement ennuyeuses qu’ils n’aiment le sumo que lorsque les règles sont enfreintes ! Bien des shinjinrui, quoique réticents à justifier ouvertement le détestable tirage du mage de Kyokushuzan par le yokozuna Asashoryu, trouvent encore que l’incident fut bien plus spectaculaire qu’un kimarite valide. Bien entendu, de nouveaux kimarite sont de temps en temps ajoutés au glossaire du sumo – la dernière fois que cela s’est produit, c’était en mars 2001 – mais ces termes sont introduits rétrospectivement, et ne servent qu’à expliquer un phénomène existant d’ores et déjà dans le sumo plutôt que d’inviter les sumotori à employer des techniques nouvelles et radicalement différentes. C’est le contexte au cours duquel les kimarite sont employés – si possible par le Petit sur le Gros – qui déchaînera leur enthousiasme. Des horaires inadaptés ? Les horaires des combats rendent le sumo encore plus inattractif aux yeux des shinjinrui. L’experte en sumo Liliane Fujimori décrit totalement mes sentiments : « En Occident, nous en venons souvent à nous demander comment certaines personnes peuvent se permettre de […] regarder le sumo […] durant quinze journées consécutives du matin au soir ! Les riches et les vieux ne devraient pas être les seuls habilités à jouir de ce privilège ». La majorité des shinjinrui interviewés sont en faveur de ma suggestion que les combats des divisions phares devraient être déplacés le soir, disons à 19h30, pour permettre aux plus jeunes de pouvoir les regarder après le travail. Les promoteurs du football, du base-ball et du K1 n’imaginent pas faire jouer des matchs l’après-midi en milieu de semaine, alors pourquoi le sumo devrait-il faire cela ? Bien plus, les combats de makuuchi s’étendant sur deux heures et quinze minutes, cette séparation avec les divisions inférieures donnerait aux jeunes un spectacle d’une durée similaire à celle d’un match de football, et donc plus en accord avec leurs timings d’attention envers les sports. Clairement, la NSK se verrait largement contrainte à des ajustements d’horaires de travail et de repas, et les tsukebito y perdraient sans doute encore un peu plus de sommeil, mais il faut souligner que les rikishi de makuuchi participent avec succès à des spectacles nocturnes quand ils sont en tournée à l’étranger. Toutefois, certains jeunes Japonais maintiennent que les horaires des torikumi n’y changent rien. « Montrer du sumo à des horaires différents ne fait aucune différence. Ce n’est juste pas assez passionnant. Il y a bien trop de shikiri-naoshi (préparation au combat) ». Des shikiri-naoshi soporifiques ? Parmi les shinjinrui, beaucoup sont intimement convaincus que les torikumi du sumo, qui durent à peine quelques secondes, ne méritent tout simplement pas une préparation de quatre minutes. Aux yeux des réfractaires, le shikiri-naoshi du sumo apparaît bien plus banal que les prologues de combats de K1, où l’on trouve tout un langage peu fleuri et des visages mauvais. Le shikiri-naoshi irrite considérablement les jeunes. Il est sous-tendu par une religion qu’ils ne comprennent qu’à peine, si tant est qu’il y croient tout simplement, et est adouci par un contrôle des émotions qui leur rappelle plus les principes d’une éducation rigide et conformiste que le plaisir sans limites qu’ils partagent avec leurs amis. Toutefois, on peut se poser la question : est-ce qu’un shikiri-naoshi d’une minute inciterait plus de jeunes à regarder le sumo ? Je n’ai pas encore trouvé de proposition qui fasse autant rire les shinjinrui. « Ca pourrait marcher », selon le témoignage de Yu, une étudiante en langues étrangères de Tokyo, tout en contrôlant ses gloussements « mais les lutteurs ont besoin de temps pour se concentrer et créer une atmosphère ». Kentaro, un autre étudiant en langues, renchérit. « On ne peut pas avoir un shikiri-naoshi d’une minute. C’est une chose importante dans la performance des lutteurs ». Kentaro ne dit pas que c’est une chose importante pour lui, toutefois. Tout comme Yu, il est convaincu que la vieille génération a le droit d’apprécier ses shikiri-naoshi et que ce droit n’a pas à être contesté par les shinjinrui. Bien entendu, la notion selon laquelle les étrangers n’ont pas à influencer les natifs a toujours sous-tendu le Japon depuis des siècles. Mais le sumo du 21ème siècle devrait voir cette conception avec inquiétude. Kentaro, Yu et beaucoup d’autres de leurs contemporains sous-entendent souvent que l’accroissement de leur intérêt pour le sumo ne peut se faire seulement si le plaisir de leurs anciens à contempler ce spectacle est préservé, et qu’ils se résigneraient plutôt à détester le sumo que de risquer de s’opposer à leurs aînés. Le sumo ne verra jamais venir à lui des hordes de jeunes admirateurs tant que ce sentiment perdurera. Le sumo doit plutôt démontrer aux shinjinrui que leurs intérêts ne sont pas à l’opposé de ceux des fans les plus âgés, et doit faire comprendre que le shikiri-naoshi offre quelque chose à tous. Tandis que les fans âgés en apprécient chacun des aspects, les jeunes sont particulièrement impressionnés par les expressions sur les visages des lutteurs quand ils s’affrontent du regard. Les plus vieux peuvent détester le regard menaçant d’Asashoryu dans sa préparation d’avant combat, mais les plus jeunes vont le trouver intriguant et amusant. Ils feront tout un brouhaha lorsque les lutteurs se frappent sur tout le corps et seront curieux de savoir quelle proportion de cette force pourra être employée face à l’adversaire. Ils mourront d'envie de savoir ce que les lutteurs auraient envie de se dire, s’ils en avaient l’autorisation à la manière d’une conférence de presse du K1. Bref, il faudrait minimiser l’aspect religieux à l’égard des shinjinrui, au profit d’une mise en valeur de la tension et de la guerre mentale. Il est hors de question de raccourcir de quelque manière que ce soit le shikiri-naoshi. Les fans les plus anciens réagissent déjà avec colère quand les retransmissions de la NHK substituent au shikiri-naoshi des reportages et des interviews. En Occident toutefois, le sumo doit adapter ses rituels au type de public qu’il veut attirer. S’il cherche l’adhésion de ceux qui sont attirés par tout ce qui est oriental, un shikiri-naoshi de quatre minutes est parfait. Si, d’un autre côté, il cherche à gagner les cœurs de ceux qui sont purement intéressés par le combat, un rituel raccourci est fortement conseillé. Le shikiri-naoshi en version intégrale a remporté un franc succès devant les 11.000 spectateurs du Royal Albert Hall, dont la plupart avait connu le sumo en suivant les retransmissions de Channel Four. Le succès a été identique face à la majorité des supporters du Grand Sumo de Las Vegas en 2005. A l’inverse, quand la fédération américaine du World Wrestling Entertainment a eu l’ambition de mettre en scène un combat de sumo impliquant Akebono devant 20.000 fans de lutte pro avides d’étranglements et de soumissions, même une minute de jeter de sel a fait l’objet de risées. En revanche, un public avec un état d’esprit analogue, venu pour voir le US Sumo Open de 2006 a été agréablement surpris de constater que le sumo amateur ne demande à ses combattants que d’à peine plier les genoux et de frapper leurs mains avant de lutter. Tant que certains éléments du rituel demeurent – même s’ils ne sont qu’en filigrane – le sumo peut à la fois respecter la tradition tout en trouvant des fans dans de nouveaux territoires. La concurrence du K1 L’entreprise de réhabilitation du sumo vis à vis des jeunes a été véritablement rendue plus difficile le 31 décembre 2003. En cette nuit de la Saint Sylvestre, pratiquement la moitié du Japon a vu un ancien yokozuna, Akebono Taro, se faire matraquer par Bob Sapp lors d’un combat de K1. Il est impossible de sous-estimer l’impact de la chute douloureuse d’Akebono sur les impressionnables shinjinrui japonais. Sapp est devenu un personnage culte à leurs yeux après avoir prêté sa personnalité charismatique pour une série de pubs télévisées. On le voit comme un symbole de la modernisation, tandis que l’histoire d’Akebono le range au côté des forces de la tradition. Les shinjinrui y ont vu non seulement une victoire de la modernité, mais aussi un combattant somme toute moyen de K1 battre un yokozuna, le symbole de l’invincibilité du sumo. Leurs doutes sur le fait que les sumotori ne soient plus les plus forts guerriers du Japon en ont été spectaculairement renforcés, tandis que le yokozuna dohyo-iri – dont le but est de dépeindre le yokozuna comme une personnification incarnée de la magnificence – est menacé de n’être vu que comme un petit moment de bravache. Kenji, le petit jeune enrobé de Tokyo, parle pour la plupart de ses pairs quand il dit : « Je n’aime pas Akebono comme combattant. Il est seulement lourd. Aucune force. Aucune technique non plus ». D’autres adolescents rient simplement quand ils entendent les mots de « Akebono » et « K1 » dans la même phrase. Michiko, la jeune femme de Toyama, essaie gentiment de défendre le rang de yokozuna à la lumière de la chute de Akebono. « Un yokozuna est juste… Dieu ! » s’exclame-t-elle. « [mais] on a regardé le combat de K1 et il n’était plus un yokozuna. Je ne peux avoir de respect pour cela ». Elle implique que si Akebono – ou en fait n’importe quel yokozuna – avait combattu Bob Sapp comme un yokozuna, il l’aurait emporté. Il est vrai que lorsque Akebono a affronté Bob Sapp, il n’était pas au mieux de sa forme. Mais malheureusement pour le jugement de Michiko, un Akebono dans une forme bien meilleure a toutefois disputé depuis huit combats de K1 et il n’a triomphé que dans un seul d’entre eux. Dans sa quête courageuse pour devenir le premier yokozuna à se confronter – et à l’emporter – face aux pratiquants d’autres disciplines d’arts martiaux, il a en fait tristement exposé les limites du sumo. Le sumo interdisant les poings fermés, les sumotori sont incapables de s’entraîner à encaisser les frappes au visage, ce qui les place d’emblée dans une posture très défavorable sur un ring de K1. A chaque fois qu’un sumotori verse le sang et va au tapis suite à une frappe (et Akebono n’est pas le seul ancien sumotori a avoir souffert ce destin), les conceptions stéréotypées des shinjinrui sur d’élégants et musculeux athlètes de K1 opposés à des sumo rondouillards et patauds s’en voient renforcées de la manière la plus flagrante. Pour relativiser de telles conceptions, la NSK doit adopter la stratégie suivante. Elle doit simplement mettre l’accent sur les années d’entraînement requises par un sumotori pour devenir un athlète exceptionnel de makuuchi. Elle doit ensuite rappeler aux shinjinrui qu’il faut également des années d’entraînement aux athlètes du K1 pour maîtriser leur art martial. Elle doit expliquer avec modestie, concernant la défaite d’Akebono, que quiconque quitte brutalement un art martial pour un autre doit s’attendre à plus que quelques semaines d’entraînement avant de se défaire d’un adversaire expérimenté. Bien plus important, elle doit mettre l’accent sur le fait que les inconvénients qu’Akebono a eu à faire face en K1 auraient leur pendant si Bob Sapp décidait subitement de faire du sumo. Ironie du sort, Sapp avait plaisanté avant son combat en proposant que celui-ci se fasse « suivant les règles du sumo ». Si l’ancien yokozuna l’avait pris au mot, il aurait sans doute changé les sentiments de quelques shinjinrui sur les sumotori. Peut-être la NSK devrait-elle prendre le bluff de Sapp au mot et lui offrir une place dans une heya à tout lutteur de K1 qui e voudrait. Le sumo pourrait sans doute en générer un intérêt supplémentaire dans la perspective peu probable qu’un athlète de K1 relèverait le gant. Cet article n’est qu’une introduction au S.O.S. Dans le prochain numéro de SFM, nous nous attarderons sur le malaise des jeunes vis à vis des personnalités du sumo, et verrons si plus de jeunes Japonais regarderaient le sumo si celui-ci produisait un yokozuna japonais, offrait aux femmes un rôle plus important, ou permettait aux sumotori de montrer plus d’émotions. Sumo Fan Magazine Home |
|
|