Heya Peek -
Shikoroyama-beya

par Chris Gould



Chris Gould revient de l’antre de la star montante du sumo, et d’une ancienne légende du sumo transformée en jeune maître de heya.


La Shikoroyama-beya est la dernière née de la communauté foisonnante de heya du quartier Kiyosumi de Tokyo. Son quartier général flambant neuf, aux murs de briques rouge vif et aux portes d’un vert flamboyant, ne se trouve qu’à à peine deux minutes de la station de métro de Kiyosumi-Shikarawa, et à environ cent mètres de deux prestigieuses heya dont le nom est associé à de grands yokozuna : La Kitanoumi et l’Otake (ancienne Taiho).

Durant deux matins de suite au cours de l’Hatsu basho 2007, la Shikoroyama-beya a mis en évidence deux faits d’importance. L’un est sa tolérance envers les visiteurs, particulièrement des gaijin de mon genre. Bien que les portes principales se soient trouvées closes à sept heures du matin, nul besoin alors de réserver à l’avance pour venir voir l’asageiko. Tant qu’un deshi remarque que vous frappez poliment à la porte ou, en ce qui me concerne, vous remarque en train de jeter des regards inquiets à travers la mauvaise porte, vous avez la garantie d’être invité à entrer.

La deuxième caractéristique notable de la Shikoroyama est quelque chose de plus tangible : les haltères. La salle de musculation de la heya, située à l’étage, est parfaitement visible de la rue, les rideaux étant fièrement relevés pour l’édification du passant. Lorsqu’on entre dans l’aire d’entraînement, il est tout de suite évident que l’obsession des haltères s’est étendue au rez-de-chaussée également. Des cinq heya que j’ai eu l’occasion de visiter, la Shikoroyama est la seule où les haltères ne disparaissent pas après le keiko. Elles sont là, blotties à droite de l’entrée principale de l’aube au crépuscule, présentes en permanence dans l’esprit des rikishi clairement encouragés à les utiliser.

La présence immuable de tels objets métalliques peut être à mettre au compte de Shikoroyama Oyakata. Dans une vie antérieure, quand il était le sekiwake poids léger Terao, il lui a fallu compter sur la musculation plus que n’importe qui pour assurer sa survie en makuuchi. Il est donc logiquement enclin à ce que les recrues sous sa responsabilité, en particulier les plus jeunes, fassent de la musculation aussi intensément qu’il le fit. A priori, ses deshi ont compris le message.

Shikoroyama semble en forme pour un homme de 43 ans. Il porte une chevelure fournie d’un noir de jais, et ne connaît pas le boitillement un peu comique qui affecte bien des anciens sumotori de sa génération. Sa cavalcade pour descendre les escaliers et sont pas rapide pour rejoindre son zabuton sont symboliques de l’énergie positive dégagée de sa transformation d’un rikishi au bout du rouleau en un oyakata en pleine forme. Profitant à fond de cette nouvelle vie, il est visiblement très attentif aux soucis de ses troupes et n’a pas encore été atteint par le mal mystérieux qui pousse les oyakata à observer les sessions d’entraînement avec moins d’intensité durant les tournois.

Les deshi apprécient visiblement, autant qu’ils craignent, l’intensité de l’attention que leur porte leur oyakata, et ont donc développé une éthique de travail digne d’éloges. Alors que dans de nombreuses heya, pas mal de deshi peuvent être vus en train de traînailler en se racontant les détails de leurs combats les plus mémorables jusqu’à ce qu’on entende le bruit des sandales de l’oyakata, les sympathiques Shikoroyama boys entament les choses sérieuses dès sept heures pétantes, même en l’absence de leur oyakata.

Huit sumotori de jonidan s’entraînent avec un sandanme solitaire au premier matin où j’assiste à l’entraînement, et ils l’entament par des étirements du dos, des épaules, des bras et du cou, en comptant à chaque fois jusqu’à dix. Les sumotori pratiquent leurs étirement en rangs de trois. Pour bien montrer leur sens de la cohésion et leur lucidité, ils mettent en place un système pour donner le décompte. Le rikishi à droite de la première rangée, le svelte et beau Teraomaru, scande la première dizaine avant de passer la main à son camarade du centre. Celui-ci, en retour, laisse son camarade de gauche poursuivre, celui-ci se voyant succéder par la deuxième rangée, de droite à gauche.

La routine est habilement effectuée, et terminée en moins d’une minute. Elle est suivie par quelques étirements légers des mollets et des cuisses, suivies par l’indispensable session de shiko. Cette fois-ci, le jeune Teraomaru (20 ans) fait l’essentiel du décompte. Après qu’il atteint ‘15’, les shiko commencent à devenir bien moins coordonnés ; le bruit sourd des pieds retombant ensemble sur l’argile, qui accompagnait chaque chiffre, fait place à un crépitement plus ou moins étouffé. Teraomaru, comprenant que tout ne va pas pour le mieux, regarde derrière lui pour constater le problème. Il se rend alors compte que les deux plus jeunes sumotori – dont les jambes commencent à rougir – ne frappent que tous les nombres impairs, tandis que d’autres lutteurs plus expérimentés ne frappent qu’en certaines occasions. Il ne dit rien, toutefois, et laisse les variations de shiko s’échelonner jusqu’à trente. Un rikishi plus imposant, quoique plus jeune, prend alors le contrôle de l’exercice, et emmène ses collègues jusqu’au 50ème shiko, une barre atteinte à grands renforts de halètements par plusieurs deshi.

Après s’être rafraîchis à la puissante climatisation, les sumotori passent un temps considérable à faire des flexions, pour renforcer leurs cuisses et jarrets. Le décompte est scandé cette fois par un maigre rikishi, dont la puissance vocale dément toutefois la jeunesse du visage. N’ayant pas même seize ans, il a sans nul doute rejoint la heya dans les semaines précédentes. A ses côtés, son meilleur ami dans le sumo, une autre jeune garçon de quinze ans, bien plus rondouillard et doté de bajoues grassouillettes, mais tout aussi tristement inexpérimenté. Sa voix quasi éteinte s’évanouit au fur et à mesure, contrastant de façon criante avec les profonds et sourds toussotements qu’il pousse à l’occasion. Les deux novices n’ont pas la moindre ‘blessure de guerre’, et leurs visages naïfs et craintifs paraissent dramatiquement mal préparés à en recevoir de quelconques. Leur peau semble tendre au point qu’on voudrait les mettre dans du coton. Je grimace à la pensée de leur première blessure, peut-être à l’occasion de leur séance inaugurale de matawari. Cependant, s’ils ont un mental fort caché par leur apparence vulnérable, ils pourront alors évoluer en quelque chose s’approchant des lutteurs plus anciens qui sont à leur côtés, se taillant des visages moins mignons mais aussi des jambes pleines de cicatrices, un entrejambes violacé, des orteils bandés et des pieds squameux.

Trente flexions plus tard, les lutteurs décident d’ajouter des mouvements en oshi (poussées) à leur routine, et propulsent leurs mains vers l’avant alternativement à chaque flexion effectuée. Ayant achevé leurs adversaires imaginaires, les mains se retrouvent ensuite sur leurs têtes pour trente autres flexions, avant que ne soit entamée une série d’appuis faciaux. Le novice maigrichon bondit sur le dohyo et achève une série de dix pompes avec moins de difficultés que la plupart, mais son homologue plus ‘costaud’, qui se voit accorder une dispense spéciale pour poser ses mains sur la plate-forme où je me trouve, exécute donc ses pompes à un angle de 40°, mais même de cette position plus confortable, peine à en réussir cinq. Son oyakata doit être sans doute impatient de lui montrer les haltères.

Peu après, une porte sur ma droite s’ouvre dans un grincement, et les deshi bondissent pour crier un ‘bonjour’ sonore. Deux jambes massives frappent le parquet blanc cassé, précédant le torse musculeux du lutteur le mieux classé de la heya. Il s’agit de Homasho, l’une des stars du sumo à l’ascension fulgurante, tout juste titulaire d’un superbe jun-yusho lors du basho précédent. Son ascension rapide au huitième rang du sumo (maegashira 4o) a non seulement rendu les fans de sumo fiers de l’encenser comme ‘Le deshi de Terao’, mais elle lui a aussi valu la popularité auprès d’un aréopage d’admiratrices. Le bonjour collectif sonore, quoiqu’un peu forcé, et son statut d’unique sumotori de la Shikoroyama autorisé à porter un mawashi d’entraînement blanc, démontre si besoin était l’importance croissante qu’il a pris récemment au sein de la heya. Il est désormais assisté par deux tsukebito, dont l’un gambade volontiers vers le seau d’eau pour lui chercher de quoi boire. Tandis qu’il le fait, Homasho se glisse vers l’extrême gauche de la salle pour effectuer quelques shiko tranquilles tout en observant les exercices de ses collègues en sueur.

Le sumo défensif constitue la leçon suivante, les jeunes rikishi pratiquant un tour à rebours du dohyo. L’exercice permet aux rikishi de se façonner un sens de l’orientation instinctif entre les balles de paille, et permet d’obtenir des résultats spectaculaires en plein tournoi, quand les lutteurs frôlent la tawara à reculons et à une vitesse prodigieuse. Au cours de cette partie de l’entraînement, deux jeunes femmes dans la vingtaine arrivent dans la heya et commencent à regarder avec intensité les activités. Je n’ose pas demander si elles sont fiancées de sumotori, filles de membres de koenkai ou des fans avides. Quelques instants après, elles sont rejointes par un homme d’environ trente-cinq ans, qui doit sans doute trouver une forme d’apaisement en lisant son journal dans un environnement de sumo avant de se rendre au travail.

Tandis que le nombre des spectateurs vient de quadrupler, l’exercice de reculade est renforcé par une activité en binômes. Tris paires de sumotori se font face, à la tawara. Le lutteur A pose ses mains sur les épaules du lutteur B, commence à appliquer de la pression, et avance à pas volontairement grands. Le lutteur B résiste un peu, puis les rôles s’inversent comme dans le précédent exercice. Les mouvements de pieds des paires de lutteurs sont censément coordonnés, pour que les pas avant gauche des lutteurs A soient en phase avec les pas arrière droit les lutteurs B. Il est évident que certaines paires de lutteurs parviennent mieux à coordonner leurs gestes que d’autres. Durant tout l’exercice, Homasho reste impassible, ses calmes shiko ponctués par l’étrange balancement de l’une des quatre bouteilles d’eau minérale posées devant lui. A gauche de ces bouteilles, un moule en plaqué or d’une tête de porc, qui rappelle l’année du Cochon.

A environ 07h30, quelques balais de paille sont ramenés d’un placard proche de Homasho, et le dohyo sablonneux est balayé par les jeunes deshi en prévision du suri-ashi. Cet exercice vise à affiner les mouvements offensifs des lutteurs, et peut leur permettre d’effectuer ce légendaire oshi-taoshi qui fait voler les zabuton. Les deshi forment deux lignes à angle droit et traversent le dohyo de diverses façons. Au départ, ils s’accroupissent et effectuent un tachiai classique, traversant alors le dohyo en ligne droite. Puis, ils changent un tachiai incliné sur la gauche en une offensive à droite. Après, ils font comme s’ils étaient aux prises avec un adversaire faisant un pas de côté astucieux, et reconstituent une charge en ligne droite suivie d’un mouvement de pivot à la tawara. Enfin, ils traversent le dohyo en cinq ondulations, chargeant tout droit au départ avant de faire deux changements de direction de la droite vers la gauche et inversement.

Les suri-ashi mènent rapidement à l’affûtage des mouvements de yorikiri. Encore une fois, les lutteurs forment deux lignes à angles droit, mais cette fois ci traversent le dohyo plus lentement, déplaçant leur corps avec de légers à-coups des talons et des pieds. De tels frottements de la plante contre l’argile sont trop difficiles pour le jeune deshi rondouillard, et on lui dit d’avancer à plus grandes enjambées.

Les balais refont alors leur apparition pour balayer le sable près du centre du dohyo avant la phase suivante du durcissement de la plante des pieds : le butsukari-geiko. Le porteur d’eau de Homasho, un sandanme à l’acné prononcée dénommé Tomishima, se tient près du shikiri-sen et invite un deshi au physique plus conséquent à se lever d’une position accroupie pour le charger à pleine puissance. Pour motiver son collègue, et sans doute aussi pour se préparer mentalement à l’impact violent qui l’attend, Tomishima pousse un cri pour exhorter le deshi à charger. Ce dernier s’exécute, rentrant durement dans les pectoraux flageolants de Tomishima, faisant glisser le tsukebito de Homasho sur le rebord du dohyo. Le son de l’impact est énorme, mais paraît bien faible au regard de la toute-puissance dégagée une heure plus tard quand Homasho charge Tomishima avec tant de férocité que celui-ci cherche instinctivement à fuir l’impact. La force de l’avancée de Homasho est telle que le dos de son partenaire se trouve bien souvent projeté contre les murs six mètres plus loin.

Après le butsukari-geiko vient le travail de tsukidashi. Teraosho, l’un des rikishi les plus gros, classé au rang de jonidan 89e, occupe le centre du dohyo, étend ses bras graisseux et invite une série de collègues à le faire bouger du dohyo à l’aide d’une attaque en tsuki sur le haut du corps. C’est là que la différence entre les sumotori reconnus et les novices apparaît le plus cruellement. Le novice maigrichon manque complètement les pectoraux de Teraosho lors de sa charge, finissant en repoussant l’air autour de lui, et se fait réprimander pour avoir manqué d’éborgner son partenaire. Entre temps, le novice le plus lourd, malgré sa taille, montre qu’il manque largement de puissance de poussée, et il lui faut quatre tentatives avant qu’il ne puisse ne serait-ce que faire bouger Teraosho, sans même parler de le repousser hors du dohyo. Lui et son compagnon inexpérimenté passent le restant de la session à se jeter un lourd sac de riz, dans l’espoir de se forger la puissance des bras et des jambes nécessaire à des tsuppari un peu plus convaincants dans l’avenir. Homasho, pendant ce temps, se remet au travail avec les haltères, s’entraînant à charger avec une dans chaque main.

A 08h05, deux deshi quittent la session d’entraînement pour rejoindre le Kokugikan y disputer leur combat matinal. Après leur départ, le dohyo est purifié à l’aide de sel avant les premiers combats d’entraînement de la journée, entre Teraosho et un sumotori du même gabarit imposant. Teraosho commence de très belle manière, remportant quatre de ses cinq premiers combats, mais il paraît alors s’effondrer de façon spectaculaire (peut-être en raison de son pied droit abîmé ?) et perd les quatre suivants. Tomishima entre ensuite dans l’aire de combat et le punit de la même façon. Les deux dernières victoires de Tomishima ont lieu devant les lunettes de l’oyakata, dont l’entrée à 08h15 dans un costume jaune vert est saluée avec autant d’enthousiasme que celle de Homasho.

Sous les salutations matinales, Shikoroyama se perche rapidement sur le zabuton posé précautionneusement quelques mètres en face du mien. Sa présence majestueuse pousse les deshi à combattre avec plus d’ardeur encore dans leurs combats d’entraînement ; leurs grognements deviennent de plus en plus forts. Pour rappeler à l’oyakata qu’ils combattent depuis un bon bout de temps, Tomishima demande à Teraosho s’il se sent bien après tant de combats disputés. ‘Je crois que ça va ! » répond-il avec assurance, avant que chacun d’eux ne se précipitent sur le mawashi de l’autre. Teraosho est toutefois en bien moins bonne forme que le tsukebito de Homasho. Ce dernier remporte le combat avec aisance, laissant son adversaire vaincu sous l’œil nerveux de l’oyakata. L’oyakata ne paraît pas plus impressionné que cela, mais se concentre tout de suite sur le combat suivant, remporté par Tomishima après une attaque en tsuppari qui rappelle les souvenirs de Terao.

Après Homasho, il n’est pas difficile de voir en qui reposent les espoirs de Shikoroyama. Tomishima est au centre de pratiquement tous les exercices et se montre très difficile à déloger du coin des vainqueurs lors du moshi-ai [exercice au cours duquel le vainqueur continue à combattre tant qu’il gagne]. Quand ses tsuppari commencent à se fatiguer, il combat vaillamment au mawashi et reçoit en conséquence de beaux encouragements de la part de Shikoroyama et de Homasho. « Sers-toi de tes jambes ! », implore l’oyakata durant le combat le plus long de la journée, dans lequel il finit par l’emporter. C’est le seul conseil technique que Shikoroyama trouvera convenable de lui adresser.
L’oyakata finit toutefois par appeler le seule aspirant pour une longue discussion d’une toute autre teneur. Il ne se souvient pas à l’évidence d’avoir vu le poignet de Tomishima bandé le jour précédent, et donc entreprend de le questionner minutieusement.

« Tu l’as bandé », commence-t-il, presque incrédule.

« Oui ! », crie le jeune protégé, presque comme une recrue face à son officier.

« Vraiment ! », demande l’oyakata.

« Oui ! »

En réponse à un geste de l’oyakata, Tomishima présente son bras pour une inspection. L’oyakata palpe le bandage, et remarque. « Ca fait mal là, alors ? ».

« Oui ! », glapit le jeune protégé, soit par obéissance aveugle, soit à cause d’une forte douleur.

Il n’est pas surprenant que Shikoroyama porte une attention particulière aux poignets de ses rikishi. Les poignets de Terao sont la base de presque toute sa carrière, du fait de leur usage pour les tsuppari dans presque 2000 combats professionnels. On raconte que juste avant qu’il ne prenne sa retraite, un docteur l’informa qu’il combattait en fait dans la première division du sumo (et y gagnait encore) avec les poignets d’une grand-mère de 80 ans. Pas étonnant alors que l’oyakata montre un grand scepticisme à l’égard de quiconque vient se plaindre d’une petite douleur au poignet ! Il est intéressant de noter que le bandage aura disparu du poignet de Tomishima lors de l’entraînement du matin suivant…

Après l’examen du poignet, les combats d’entraînement commencent, avec Tomishima poursuivant sa bonne série quelque soit sa douleur pour remporter pratiquement tous ses combats. L’un des combats voit Shikoroyama parvenir au comble de l’exaspération. En dépit de son ‘je crois que ça va !’, ça ne va pas du tout pour Teraosho, qui après être apparu une fois de plus indigne de porter le shikona de Terao, se voit bombardé de consignes par son entraîneur alors qu’il est en train de combattre. Après ce qui doit être sa dixième défaite consécutive, l’oyakata l’emmène dans un coin et lui conseille de ne pas laisser sa jambe droite autant vers l’avant. Shikoroyama fait la démonstration de la position correcte à adopter, et demande à son deshi de répéter le mouvement à plusieurs reprises avant de refaire son apparition au moshi-ai. Il se rassied ensuite, se tourne vers le spectateur au journal et obtient après les avoir demandées les pages du sumo. Sachant pertinemment que Homasho n’a pas besoin de conseils pour savoir comment malmener ses tsukebito, Shikoroyama regarde si la presse donne des conseils sur une façon plus convaincante dont Homasho aurait pu battre Kokkai la veille.

A ce moment, au milieu des respirations bruyantes et des quintes de toux, les deux jeunes deshi sont arrivés à épuisement de leurs lancers de sac de riz et se soulagent par des shiko. Toutes les minutes ou deux, ils se retournent vers leur oyakata, comme s’ils craignaient qu’il ne les admoneste. Quand il finit par lever les yeux de son journal, toutefois, leurs craintes se révèlent infondées. « C’est bon pour aujourd’hui. Allez vous changer », dit-il d’un ton sec, envoyant les deux novices se précipiter vers leurs serviettes et courir aux vestiaires.

Vingt minutes plus tard, un petit regard à travers les portes coulissantes montre qu’ils ont été chargés de la préparation du premier repas de la journée. Si c’est bien le cas, l’oyakata doit avoir une confiance considérable dans les capacités d’organisateur du chef cuisinier de la heya, un jeune bien bâti dont le t-shirt blanc porte l’inscription « Love and Peace ». Je suis admiratif de voir avec quelle confiance Shikoroyama abandonne la préparation du repas à deux jeunes à peine capables de porter un sac de riz. Une fois encore, même si ces débutants n’ont pas envie de réaliser ce rêve, ces séances d’instruction culinaire sur le tas peuvent s’avérer la plus grande faveur que le sumo puisse jamais leur faire. S’ils devaient échouer à parvenir dans l’élite que constitue les quelques rangs salariés du sumo, ils se retrouveront avec une qualité très utile leur permettant de gagner leur vie après le sumo.

Alors que les novices débattent sur le fait de savoir qui va découper quel ingrédient, je me pose la question de savoir comment ils perçoivent leur situation à l’instant présent. Quelles ambitions pourront-ils caresser ? Avec quelle impatience attendent-ils le jour où on ne leur interdira plus de pratiquer les exercices à plein régime ? Avec quel enthousiasme attendent-ils les séances de grand écart et les batailles de plus e plus furieuses ? Comment pensent-ils pouvoir jamais créer de l’émulation chez Homasho ? Et, bien qu’ils respectent leur oyakata comme l’image de l’autorité, ont-ils la moindre idée du grand combattant qu’il fut ? Du prestige qui vient de dire et savoir qu’ils sont entraînés par lui ? De la légendaire tradition de la famille Fukuzono de projection, dont ils sont censés hériter et qu’ils doivent perpétuer ?

Alors que les aspirants stars de demain claudiquent vers la cuisine, une star d’aujourd’hui mène la brève prière qui suit les dix minutes de retour au calme. En l’absence de l’oyakata, qui est une fois de plus retourné dans ses quartiers, Homasho se lève, s’incline, frappe ses mains et presse ses mains charnues durant une seconde. Son tsukebito et l’autre deshi suivent le mouvement. On espère qu’en outre de leur propre bien être, ils prient tout particulièrement que les deux visages poupins en service de cuisine ne se découragent pas trop du sumo au cours d’une longue et dure année 2007.





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